Tout le monde a retenu son souffle lorsque Saint-Pierre s’est présenté devant les micros et les caméras, le visage grave et les yeux lourds, pour annoncer la nouvelle que chacun redoutait : Dieu est officiellement mort hier soir, à l’hôpital Saint-Jean-de-la-Morille, malgré tous les efforts déployés par l’équipe médicale et les millions de prières récitées de par le monde par des fidèles désespérés.
« Dieu était dans le coma depuis plusieurs heures, il n’a donc pu entendre ces prières et, tout naturellement, n’a pu y répondre favorablement », a laconiquement expliqué le théologien Hans Apanier, ami intime de Dieu depuis de nombreuses années.
« L’état de Dieu était déjà extrèmement préoccupant lorsque les équipes de premiers secours nous l’ont amené, nous confie Georges Graton, médecin-chef de l’hôpital Saint-Jean-de-la-Morille. Son pouls était faible et son auréole particulièrement terne. Quant à sa longue barbe blanche, elle se délitait sans discontinuer en perdant de grandes grappes de poils drus dans lesquelles les infirmières se prenaient les pieds, ce qui n’a évidemment pas facilité notre travail. »
La suite, tout le monde aujourd’hui la connaît : Dieu n’a pu être réanimé et les médecins ont dû se résoudre à débrancher les équipements qui le maintenaient en vie, le Vatican refusant avec fermeté que ses organes puissent être prélevés en vue d’une transplantation.
L’annonce de cette terrible nouvelle a naturellement plongé les croyants dans une profonde détresse, et le caractère trouble du décès de Dieu n’est pas pour faciliter leur travail de deuil. « Bien sûr, nous dit Georges Graton, Dieu était un vieil homme. Un très, très, très vieil homme. Mais ses derniers examens médicaux s’étaient révélés plus que satisfaisants et rien ne laissait présager une dégradation si subite de son état de santé. »
De là à envisager la thèse du meurtre, il n’y a qu’un pas. Un pas que les enquêteurs, pour le moment, refusent de franchir. « Il convient de demeurer prudent, déclare l’Inspecteur Spector. Nous ne pouvons pas aborder ce décès comme ceux auxquels nous sommes habituellement confrontés. S’il s’agissait d’un SDF, d’un drogué ou d’un militant anarchiste, l’affaire serait classée depuis longtemps. Mais la dignité même de la victime nous contraint de redoubler d’efforts et de ne délaisser aucune piste, sans pour autant tirer de conclusions trop hâtives. » — Plus tard, à l’écart des caméras et des micros, l’Inspecteur Spector nous confiera de façon tout à fait confidentielle : « On n’a pas fini d’en chier avec ce macchabée là ! »
Pour Hans Apanier, la thèse du meurtre ne fait aucun doute : « Dieu était en pleine forme ! Il y a une semaine à peine, j’étais venu prendre le thé chez lui. Il rigolait, plaisantait à tout-va, déclenchait des raz-de-marées et des tremblements de terre en riant aux éclats. Il était dans une forme remarquable ! Pour moi, il a été victime d’un assassinat. J’en suis intimement persuadé ! »
Mais qui aurait pu tuer Dieu ? Au-delà de la haine qu’il inspirait à un très grand nombre de personnes, il convient de prendre en compte le fait que Dieu résidait dans un modeste appartement parisien, sous le couvert d’un anonymat complet, et que sa véritable identité n’était connue que de ses plus proches collaborateurs. Dés lors, soupçonner un quelconque groupuscule d’incroyants fondamentalistes ou l’acte isolé d’un militant nihiliste n’aurait rien de rationnel. Quand à la tristement célèbre « Légion Nietzsche », mouvement terroriste d’inspiration athée, le seul suffisamment développé pour mener à bien pareille entreprise, elle semble d’ores et déjà lavée de tout soupçon : la totalité de ses membres étaient à un stage de ski nautique au moment des faits. Le mystère demeure donc entier…
Notons que c’est monsieur Jésus-Christ qui prendra d’ici quelques jours la succession de son père dans la gestion des affaires courantes, une opportunité qu’il attendait depuis plus de deux mille ans.
Publié à l’origine sur le blog nevertrust.over-blog.com